Suite au reportage censuré par M6 sur la volaille halal proposée par le groupe KFC, Le Guide Musulman a interviewé AVS (A Votre Service), l’un des acteurs les plus importants de la certification halal en France.
Suite à la diffusion du reportage censuré par M6, nous avons constaté que seules les 3 mosquées (Paris, Evry et Lyon ) ont été consultées. AVS étant un des acteurs les plus importants de la certification Halal en France, il nous a semblé indispensable de donner la parole à AVS afin d’enrichir le reportage réalisé par l’équipe de Tony Comiti Productions.
Fethallah OTMANI, manager d’AVS (À Votre Service) a eu la gentillesse de répondre à nos questions.
1. Pourriez-vous nous faire un bref rappel historique sur AVS et situer le rôle que joue cette structure aujourd’hui dans la certification Halal ?
AVS (À Votre Service) est une association loi 1901, créée en 1991. À la base il s’agissait d’une petite association de quartier dont les membres souhaitaient contrôler eux mêmes que la viande vendue par leur boucher était halal. À cette époque le marché était encore plus opaque et il y avait énormément de triche dans ce secteur.
Puis, d’autres bouchers ont entendu parler de l’association. Ils ont alors sollicité nos services pour que la viande qui arrivait dans leurs boucheries soient contrôlées. À partir de ce moment, le bénévolat a trouvé ses limites. Il a fallu embaucher des salariés.
Ce sont d’ailleurs les bouchers contrôlés à l’époque qui avaient proposé le paiement d’une prestation pour pérenniser le travail de l’association. Aujourd’hui l’association a grandi, elle emploie près de 150 salariés et contrôle quotidiennement plus de 150 boucheries et restaurants, ainsi qu’une quarantaine d’abattoirs et Centre d’élaboration des viandes (CEV) en France et en Europe.
Le but premier de l’association est de servir la communauté musulmane (d’où son nom) avec sérieux et conformité aux préceptes de l’Islam. C’est pourquoi il nous arrive régulièrement de refuser de travailler avec certains partenaires, car dans certaines configurations il est impossible de garantir le caractère halal des viandes.
Certes l’association a grandi, et génère un chiffre d’affaire important, mais l’objectif n’a jamais été oublié, c’est d’ailleurs pourquoi nous contrôlons gratuitement les boucheries.
Contrairement à ce que beaucoup pense, nous ne représentons pas grand chose sur le marché du halal en volume certifié. Mais notre reconnaissance semble plus due au fait que nous ayons toujours fait le maximum pour rester fidèle aux sources islamiques et à la communauté musulmane, tout en apportant la rigueur et le professionnalisme nécessaire à cette activité.
2. Comment se passent les contrôles sur les chaînes d’abattage de volailles contrôlées par AVS ?
Le contrôle en abattoir de volaille est certainement le plus complexe qu’avec celui en Centre d’Elaboration des Viandes, même s’il n’y a pas d’abattage. En effet, dans ce dernier cas le risque de mélange des viandes halal et haram (illicite) est important. Concernant le contrôle en abattoir de volaille. Il y a plusieurs niveaux de contrôle :
1) Le transport
Les volailles qui sont transportées jusqu’aux abattoirs dans des conditions pénibles, ne supportent pas toujours le voyage, d’autant qu’elles ont le cœur très fragile. En effet, nombre d’entre elles meurent lors du trajet ou à l’accrochage sur la chaîne d’abattage.
Ainsi, avant même l’abattage, nous postons un contrôleur qui doit s’assurer que toutes les volailles accrochées sur la chaîne sont bien vivantes. Il doit donc écarter celles qui sont mortes (mayta[1.Mayta est la terminologie juridique pour désigner une bête qui ne meurt pas selon le rituel islamique.]) avant l’abattage.
2) Le non-assommage
En abattage traditionnel (non halal), il est obligatoire « d’assommer les bêtes » avant l’abattage. Toutefois, il existe une dérogation européenne et française permettant de s’abstenir de cette pratique dans le cadre de l’abattage rituel.
Mais en pratique, à partir d’une étude que nous avons réalisé en 2008, nous savons que 90% des volailles abattues en halal en France, sont assommées au préalable essentiellement par le biais de l’électronarcose1. Nous (AVS) refusons l’utilisation de cette pratique et exigeons que la volaille soit sacrifiée sans assommage au préalable.
Pourquoi ? Il existe plusieurs raisons à ce refus.
D’une part, l’argument affirmant que l’abattage par assommage au préalable est la méthode la moins douloureuse est contestée par de nombreux spécialistes. D’ailleurs la majorité des instances internationales (telle que l’EFSA) reconnaissent que l’électronarcose appliquée sur les volailles pose de grand problème de protection animale.
D’autre part, cette méthode est censée assommer l’animal. Cependant les études des spécialistes (en particulier le Dr. Mouchonnières2, puis le Dr. Raj3), ont montré qu’en fonction des réglages (ampérage, voltage, fréquence), des résultats très différents étaient constatés. Mais en aucun cas cette méthode ne permet d’assommer 100% de la volaille trempée.
En effet, avec les fréquences recommandées par l’Union européenne, les volailles meurent dans la majorité (voir la totalité) des cas, des suites du choc électrique. Il existe toutefois, des paramétrages (en augmentant la fréquence), qui permettent de ne pas tuer les volailles, mais dans ce cas la majorité des bêtes ne sont pas assommées.
Il s’agirait donc dans cette configuration, d’envoyer une décharge électrique qui fait souffrir l’animal sans raison, puisque ce dernier ne serait pas assommé. Ainsi, nous refusons cette pratique car, de la manière dont elle est pratiquée aujourd’hui sur le terrain, elle fait souffrir l’animal, provoque sa mort dans la majorité des cas et les solutions alternatives sont inefficaces.
3) L’abattage en lui-même
L’abattage ou le sacrifice est ensuite pratiqué. Concernant AVS, nous exigeons que les sacrificateurs soient des musulmans pratiquants et qu’ils disent la formule « Bismillah, Allahou akbar (Au nom d’Allah, Allah est le plus grand) », au moment de l’abattage. Il est difficile du fait des cadences de s’assurer que cette mention soit formulée sur chaque volaille, mais les sacrificateurs sont tenus de faire le maximum. Ces derniers se doivent ensuite de couper le cou de la volaille sans la décapiter, mais en tranchant les veines, la trachée et l’œsophage.
4) Après la saignée
Le fait de ne pas « assommer » les volailles au préalable pose beaucoup de problème aux abattoirs, car les volailles se débattent beaucoup, avant et après la saignée. Ainsi, s’est présentée la solution de faire subir un choc électrique (sans eau) aux volailles après la saignée. Cette méthode permet de résoudre en particulier les problèmes d’ailes cassées qui s’élèvent à plus de 30% sans cette pratique.
Nous avons concerté plusieurs Imams reconnus en France. Tous ont eu la même position, ce qui se passe après l’abattage ne rend pas la bête haram (illicite). Nous avons accepté d’utiliser ce procédé jusqu’à certaines polémiques récentes le remettant en cause. Restant fidèles à notre rigueur, nous avons décidé d’approfondir cette problématique afin d’arriver à des réponses convaincantes.
C’est pourquoi nous devons rencontrer plusieurs savants musulmans, reconnus à l’échelle internationale, dans moins d’un mois pour qu’ils nous exposent leur position sur le sujet. Il s’agit, pour résumer la problématique, de savoir si nous pouvons appliquer ce choc électrique (sans eau) sur les volailles après la saignée, alors qu’elles sont en train de mourir.
Nous souhaitons toutefois rappeler à ceux qui ont été à l’origine de ces affirmations, que ce problème serait secondaire dans le cas d’une telle hypothèse. En effet, après l’abattage, les volailles sont dirigées dans une échaudeuse4 qui, sans aucun doute, tue les volailles qui ne sont pas encore mortes ou qui n’ont pu être sacrifiées. Il faut savoir que les études récentes prouvent que du fait des cadences, la qualité de la saignée est difficile à réaliser pour le sacrificateur. Ainsi, bon nombre de volailles prennent énormément de temps pour mourir complètement (certaines études avancent même le chiffre de 40%) et seraient donc encore vivantes lors du passage dans l’échaudeuse, comme c’est le cas pour le choc électrique après la saignée. Si la pratique de ce choc électrique altère réellement le caractère halal de ces volailles, comme l’affirment certains, il devient donc indispensable de se poser la question de l’utilisation des échaudeuses.
5) Après l’échaudeuse4
À la sortie de l’échaudeuse, nous postons un contrôleur qui doit vérifier la qualité de saignée et écarté de la chaîne toutes les volailles qui ont été mal sacrifiées ou pas sacrifiées, comme cela peut arriver du fait des cadences. Cette tâche est très délicate et nécessite une formation adaptée et de l’expérience. Afin de maintenir un niveau de vigilance élevé, nous effectuons une alternance importante des contrôleurs à ce poste.
Après cette tâche, le travail des contrôleurs et leur nombre va dépendre de la configuration du site. Mais ils devront assurer deux choses.
D’une part, isoler les viandes halal du reste des viandes dans l’abattoir (car il ne faut pas oublier que la plus part des abattoirs réalise aussi de l’abattage traditionnel), en s’assurant que le cahier des charges mis en place par les responsables de l’association a été respecté.
D’autre part, ils devront assurer la traçabilité des produits AVS en marquant ces produits par différents procédés que nous avons développées depuis près de 20 ans et qui permettront de distinguer les produits certifiés AVS des autres. Cette part du travail peut paraître simpliste, mais elle est très importante.
En effet, en exigeant que le matériel de certification soit uniquement en possession de nos contrôleurs, nous éliminons le risque de fraude. La présence quotidienne sur le site est indispensable en milieu industriel. Outre le risque de mélange de viande halal et haram (illicite) abattue sur le même site, il faut effectivement savoir que de nombreux abattoirs font du négoce et achètent des viandes à d’autres abattoirs ce qui rend le contrôle encore plus délicat et complexe.
3. Quelle position adoptez-vous sur la question de l’abattage mécanique ? Pourquoi ?
La question de l’abattage mécanique est presque inutile, car même s’il est légitime de se poser la question de savoir si ce procédé est halal ou haram, en pratique, il ne peut être utilisé que si les volailles ont été « assommées » au préalable.
En effet, les volailles se débattant énormément, il faut qu’elles soient inertes pour faire passer leur tête entre deux chaînons qui les conduisent au disque. L’exposé des conséquences de l’assommage, et plus particulièrement de l’électronarcose, a déjà été développé à la question précédente.
Considérant qu’un tel procédé n’est pas reconnu par la jurisprudence musulmane, nous ne nous posons donc pas la question de la légitimité du disque. Toutefois, il nous paraît important de signaler qu’en pratique plusieurs études démontrent que ce procédé pose de sérieux problèmes de protection animale. N’oublions pas que les volailles ont parfois des calibres différents.
De plus, comme signalé précédemment, l’assommage étant parfois inefficace, certaines volailles sont encore conscientes au moment de passer dans les chaînons. Pour ces raisons et d’autres, certaines volailles ne sont pas coupées par le disque au niveau du cou, mais parfois plus haut (« au visage ») ou plus bas (« dans le corps »).
4. Quelles sont les différences entre vos méthodes d’abattage et de contrôle et celles utilisées par les distributeurs de volailles qui utilisent l’abattage mécanique ?
Comme cela a été exprimé aux questions précédentes, nous pouvons estimer que plusieurs aspects entrent en ligne de considération :
1-Nous nous assurons que les bêtes soient vivantes avant d’être saignées. Pour ce faire, nous contrôlons que seules les volailles vivantes soient sur la chaîne et nous refusons l’utilisation préalable de l’électronarcose.
2-Nous abattons manuellement (par des sacrificateurs musulmans) qui prononcent eux-mêmes la formule rituelle (ce n’est donc pas une cassette).
3-Nous contrôlons en sortie d’échaudeuse que, sur la chaîne, il ne reste que les volailles qui ont été correctement sacrifiées.
4-Nous nous assurons que les viandes provenant de cet abattage n’ont pas été mélangées avec d’autres viandes et assurons nous-mêmes la certification et la traçabilité.
Voilà, en résumé ce que nous réalisons.
5. Avez-vous été approchés par des industriels du marché de la viande halal ?
Nous travaillons avec des PME, mais aussi des grands groupes, tel que Bigard en viande bovine. Toutefois, dès qu’il s’agit de viande de volaille ou de produits élaborés, cela devient plus complexe.
Nous avons en effet été abordés par certains groupes qui souhaitaient savoir comment nous travaillions et quel était le coût de nos prestations. Mais cela a rarement abouti. Il est vrai que notre système peut sembler contraignant pour les industriels, mais je pense que, après 20 années d’expérience, nous maîtrisons parfaitement cette activité et les enjeux qui s’y rapportent.
Sans oublier, qu’aujourd’hui nous avons acquis une réelle capacité d’adaptation. Toutefois, nous considérons que, pour certifier halal, un certain nombre d’exigences ne peuvent être négociées, car, pour nous, c’est avant tout un engagement vis-à-vis de Dieu et des musulmans. De ce fait, nous nous autorisons aucune négligence, même si cela influe sur le volume de production.
6. Que pouvez-vous nous dire de la future norme NF Halal ?
Nous ne suivons plus trop ce dossier, car d’après nos dernières informations, le projet avait été abandonné, du moins officiellement. Il semblerait que certaines personnes travaillent en coulisse pour tenter de relancer le dossier. Quoi qu’il en soit, il faudra bien arriver un jour à ce que les musulmans se mettent d’accord sur une définition du halal, indépendamment des pressions des instances étatiques ou des associations de protection animales.
Je pense que le sujet est bien moins complexe qu’il n’y paraît. Il y a certes des divergences, mais au-delà, il y a un minimum sur lequel il est possible de s’entendre. Nous l’avions affirmé, il y a près de 10 ans lors de la création du CFCM. Nous restons sur cette position, mais nous allons aujourd’hui plus loin, puisque nous sommes dans une démarche d’information et de sollicitations des savants. C’est aujourd’hui ce qui nous paraît le plus important.
7. Avez-vous des orientations à proposer aux chaînes de restauration rapide comme Quik et KFC ?
Nous considérons qu’aujourd’hui il y a un problème dans l’utilisation du mot halal, par les musulmans et les non musulmans. Ce mot qui avait un sens profond à l’époque du Prophète (que la paix et le salut d’Allah soient sur lui), car il traçait le chemin pour cheminer vers Allah est devenu une marque comme tant d’autres. Si nous devions donner un conseil ce serait d’abord aux musulmans, c’est-à-dire à nos frères et sœurs !
En effet, nous vivons dans des sociétés de consommation, et plutôt que de nous jeter dans les flots du système, nous devrions prendre plus de recul pour proposer des alternatives qui passent nécessairement par une modération de notre consommation. Pour que chaque être humain consomme à sa faim, il faudra bien qu’un jour nous (occidentaux) apprenions à penser aux autres et à nous modérer.
L’exemple le plus parlant est celui du mois du Ramadan qui est devenu le mois de la consommation, voir de la surconsommation et de l’égoïsme. Alors qu’en réalité il devrait représenter le mois de la retenue, de la privation physique pour le développement spirituel et le mois du partage. Même si nous savons que les musulmans vont continuer à consommer, il y a bien un problème qu’ils se doivent de regarder en face et d’assumer.
S’agissant de certains groupes, comme Quick ou KFC, nous savons qu’ils ont des objectifs de rentabilité qui ne peuvent être écartées. Mais, si ces enseignes, et d’autres, désirent vendre du halal, alors qu’ils le fassent sérieusement ou qu’ils s’abstiennent. Il est évident que beaucoup de musulmans profitent de l’opacité du marché et des divergences pour alimenter le flou, mais ces grands groupes ne peuvent se cacher derrière cela sous prétexte qu’ils ne sont pas musulmans et que ce n’est pas leur rôle de déterminer ce qui est halal. Ils affirment avoir développé des exigences de qualité, d’hygiène, etc. D’après nous, ils sont tenus de développer les mêmes exigences sur la question du halal. Ils doivent se donner les moyens de connaître, comprendre et maîtriser leurs engagements. Malheureusement les récentes affaires médiatiques ne laissent pas beaucoup d’espoir !
Nous remercions Fethallah OTMANI, manager d’AVS (À Votre Service) pour avoir répondu à nos questions !
- L’électronarcose est un procédé d’assommage qui, lorsqu’il est appliqué sur les volailles, consiste à faire passer la tête des volailles suspendues par les pattes dans un bac d’eau électrifié. ↩
- Spécialiste de l’étourdissement des volailles à l’abattage – Auteur de plusieurs études publiées dans de British Poultry Science. ↩
- Professeur à l’Université de Bristol, Directeur du Conseil Scientifique et Consultatif de l’AWA (Animal Welfare Approved). Ce chercheur est considéré comme l’un des principaux spécialistes des études sur le bien être animal dans le cadre de l’abattage. Il a remporté en 2008 le titre de, « British Society of Animal Science (BSAS) / Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA) Award for Innovative Developments in Animal Welfare », pour ses travaux sur l’assommage en particuliers. ↩
- L’échaudeuse est une machine qui arrache les plumes des volailles par l’utilisation d’eau bouillante et de dents en caoutchouc. ↩
- L’échaudeuse est une machine qui arrache les plumes des volailles par l’utilisation d’eau bouillante et de dents en caoutchouc. ↩
Ne passez pas à côté de la récompense !
En effet, "celui qui indique un bien a la même récompense que celui qui l'accomplit" (Muslim)
→
→ Partager Twitter